Le paysage du site viticole de LESSY
Taillée dans le calcaire, la côte viticole de Lessy se niche, bien à l’abri des vents du Nord et d’Ouest dans le fond creusé par le ruisseau de Lessy et menant au col de Lessy. Comme dans les villages environnants, ce sont les Romains qui ont installé ce vignoble qui a rapidement conquis ses lettres de noblesse grâce à un cépage venu des Alpes, le fameux Pinot, aux petits grains presque noirs.Les parcelles étaient toutes orientées vers le sud sud-ouest, dès le matin elles étaient réchauffées par les rayons du soleil levant.
Nous retrouvons aujourd’hui la trace de cette ancienne culture en suivant nos nombreux sentiers bordés de pierres vignottes et en observant les nombreux pierriers ou murgers, tas de cailloutis souvent allongés entre deux parcelles ou pyramidaux à la jonction en bout de plusieurs terrains. Ce qui frappe surtout dans cet ancien vignoble, c’est l’exiguïté des parcelles d’alors, soigneusement entretenues, et séparées parfois par des murets de pierres sèches : les clos.
Mais notre commune conserve égalemment, avec quelques communes attenantes, un petit domaine viticole, encore exploité par des professionnels, qui produit des vins rouge, blanc, rosé et pétillants au demeurant très sympathiques.
C’est à la découverte de ce domaine et de son histoire que nous vous convions dans l’article ci-dessous, paru dans le journal local, le lessylien, en janvier 2015.
La Vigne à Lessy et en Pays Messin : 17 siècles d’histoire
Tout au long de l’année, touristes et promeneurs attirés par les attraits du Mont Saint Quentin s’aventurent d’un bon pas sur la route de Scy à Lessy. Les plus curieux ne manquent pas de s’arrêter quelques temps, songeurs, devant quelques arpents de vigne posés de façon inattendue sur le bord du chemin. Pour ceux qui, désireux d’en découvrir davantage, décident de se glisser dans le chemin séparant Scy de Lessy, quel étonnement quand ils se retrouvent cernés de toute part par un beau vignoble de 2 hectares. Ils s’interrogent alors : A qui appartient ce vignoble ? En quels cépages est-il planté? De quelle histoire témoigne-t-il ? C’est à ces questions que ces lignes vont répondre.
Le vignoble actuel
Deux exploitants se partagent le vignoble installé sur les bans de Lessy et Scy-Chazelles :
Benoit Legrandjacques exploite la vigne depuis 14 ans. Installé à Rozérieulles, il loue sur Lessy une parcelle de 10 ares plantée en 1949 et possède une parcelle de 45 ares plantée en 2000. Il produit en agriculture bio certifié du vin blanc, du vin rouge, du rosé et du brut pétillant, mariant au mieux des cépages bien connus sous nos cieux : pinot noir, pinot gris, pinot blanc, auxerrois et meunier. Il a d’autres parcelles sur Vaux et Rozérieulles (voir « domaine Legrandjacques » sur www.moselle-tourisme.com).
La famille Molozay exploite 12,5 hectares d’un vignoble répartis sur 6 communes du Pays Messin dont un hectare sur le ban de Lessy, planté en pinot noir par moitié en 1995 et 2002 afin de produire en culture bio un vin rouge recherché « les Hautes Bassières » (voir aussi le site: www.chateaudevaux.com).
Elle a repris en fermage en 1999 le château de Vaux, qui jouissait d’une tradition vinicole ancienne (caves du 13ème siècle – importante champagneraie pendant l’Annexion de 1870), et 3 hectares de vigne d’un seul tenant plantés sur la commune par un universitaire messin, Jean-Marie Diligent.
Suite à l’arrêt de la filière viticole du Centre Départemental d’Expérimentation de Laquenexy, la famille a également loué au Conseil Général de la Moselle, sur le lieu dit Les Brayes à Scy-Chazelles, une parcelle de 2,5 hectares de vigne plantée en 1986 de cépages expérimentaux.
Soutenus par le Conseil Général de la Moselle, les vignerons mosellans s’engagent à faire de la qualité et obtiennent le label AOC en 2010. Par fidélité à une culture qui a marqué l’histoire de leur village, les édiles de Lessy ont quant à eux souhaité montrer plus qu’un simple soutien au développement de la vigne dans leur commune en classant dès 1981 près de 24 ha du ban communal en VDQS et en créant avec Scy-Chazelles en 2012 le « Périmètre de Protection Agricole et des Espaces Naturels » (PAEN) .Tant d’efforts pour une culture mythique dépassée ou à venir…? mais dont l’histoire se doit d’être contée.
Le développement du vignoble messin
Au milieu du IIIème siècle, l’empire romain pacifie ses frontières au nord de la Gaule. La résidence impériale a été déplacée pour plusieurs dizaines d’années de Rome à Trèves et les empereurs favorisent l’implantation de colons francs pour les dissuader d’attaquer les régions romanisées. Trèves et Divodurum (Metz) sont deux villes très importantes situées sur le fleuve Moselle qui fait la jonction entre la vallée du Rhône et celle du Rhin ; elles disposent d’une forte garnison…et les romains aiment le vin. Mais l’empereur Domitien a interdit deux siècles plus tôt la culture de la vigne au nord de la Gaule.
Afin de faire face à une demande de plus en plus volumineuse en vin et pour donner du travail aux nouveaux arrivants, l’empereur Probus autorise la culture de la vigne en 276.
Sa décision devait être très attendue car un siècle plus tard, Ausone, un consul de l’empereur Gratien également poète, compose à l’occasion de sa venue à Trèves une ode intitulée Mosella dans laquelle il vante l’importance de la vigne dans la vallée de la Moselle, magnifiant « des coteaux se reflétant dans le fleuve au point que celui-ci en paraissait planté de vignes ».
Deux siècles plus tard, Vénance Fortunat, un érudit italien également poète, invité à Metz alors capitale d’Austrasie, par le roi Sigisbert 1er à l’occasion de son mariage avec la belle Brunehaut (en 565) accompagne les souverains au cours de leurs pérégrinations et évoque avoir vu «des collines entières de pampres touffus » (à l’époque la vigne poussait en enlaçant les troncs des arbres).
Sous les Carolingiens, Metz est résidence impériale et se voit dotée par les empereurs de grandes abbayes. La terre appartient alors à l’aristocratie et à l’Eglise qui y font pousser de la vigne l’une par prestige, l’autre pour la célébration de la messe. Le vin est alors une boisson chère, consommée uniquement par les seigneurs et prélats….et la vigne une culture des plus rentables. Les moines, plus instruits que leurs concitoyens, améliorent peu à peu les techniques de l’époque et sélectionnent les meilleurs cépages.
Au Moyen Age, Metz est une grande cité marchande et possède une bourgeoisie prospère qui a su investir dans un vignoble de qualité dont le produit s’exporte alors jusqu’en Flandres et en Angleterre.
Au milieu du XVIème siècle, l’évêque de Metz, alors cardinal, devant se rendre au Concile de Trente dans le Tyrol italien avait emporté avec lui des tonnelets d’un vin de Scy-Chazelles pour les offrir aux Pères du Concile ; ce vin fut particulièrement loué par ceux-ci qui s’extasièrent sur son fin et délicat bouquet le qualifiant de « roi des vins ». A cette époque, le vignoble messin est, en valeur et qualité, à l’apogée de son Histoire, à l’égal sans doute des meilleurs Bordeaux et Bourgogne de l’époque actuelle.
Il souffrira des nombreux conflits qui marqueront la Lorraine (fin du XVème siècle, guerre de 30 ans, Révocation de l’Edit de Nantes et exil des protestants) mais saura chaque fois s’en relever. En 1633 est créé le Parlement de Metz ; il est pourvu de juristes dont la plupart sont d’origine bourguignonne et possèdent une bonne connaissance du vignoble : soucieux de maintenir au vin local une excellente qualité, ils ordonnent régulièrement l’arrachage des vignes de moindre qualité. En 1700, Ars, Ancy, Scy-Lessy et Longeville sont cités par l’Intendant de la Généralité de Metz parmi les villages disposant des plus grandes surfaces de « bon vignoble ».
Un lent déclin de la qualité s’amorce
Au début du XVIIIème siècle la vigne en Pays Messin a encore de très beaux jours devant elle. Mais tentés de profiter au maximum du pampre aux raisins d’or, ses propriétaires vont progressivement déroger à l’excellence de sa qualité, alors qu’un concurrent proche, les Ducs de Lorraine, développe un vignoble de qualité dans le Toulois .
Le maréchal de Belle-Isle, gouverneur de Metz, transforme la ville pour en faire le rempart de la France. Metz possède alors une garnison importante qu’il faut abreuver mais qui a peu de moyens. Ce marché garanti pousse les petits propriétaires de vigne à favoriser le développement d’un vignoble à gros rendement mais de qualité médiocre, qui peu à peu s’étend tout autour de Metz.
A la Révolution, les nobles et le clergé sont contraints d’abandonner leurs terres ; elles sont rachetées par des bourgeois qui voient dans la vigne un des meilleurs placements de l’époque. En effet la demande augmente car le peuple se prend à apprécier le vin. Aussi quand en 1791, les viticulteurs ont la liberté du choix de leurs cépages et du lieu de plantation, la vigne s’étend en s’éloignant des coteaux et des cépages grossiers sont largement plantés…. causant rapidement la ruine de la réputation des vins du Pays Messin, notamment à l’exportation.
La création des premières usines au début du XIXème siècle va détourner les capitaux de la bourgeoisie de la vigne et porter un rude coup au vignoble messin. Des vignerons locaux rachètent les terres, mais ils ne sont pas en mesure de préserver la qualité, qui se dégrade encore. En 1860 les appréciations de la préfecture sur la qualité des récoltes sont catastrophiques (« très mauvaise », « détestable »), y compris pour les vins de coteaux du Mont Saint Quentin qualifiés de « médiocre » ou « mauvais». L’arrivée par chemin de fer des vins du Midi, moins chers et meilleurs, détourne des vins locaux une part importante de la clientèle messine.
Pourtant les surfaces cultivées en vigne sont encore très importantes quelques années plus tard. En 1878, il est recensé 50 ha sur Châtel et Rozérieulles, 70 ha sur Lessy et Plappeville, 109 ha sur Longeville-lès-Metz, 136 ha sur Scy-Chazelles, 209 ha sur Ancy.
L’Annexion de 1871 intègre les vignobles du Pays Messin dans le circuit économique allemand et lui crée un formidable débouché protégé de la concurrence des vins du Midi car les vins messins se prêtent à la champagnisation ; or à la différence de la législation française, la législation allemande autorise l’addition de toutes sortes d’ingrédients permettant la transformation du moût (jus des raisins écrasés) en vin blanc mousseux, le « Sekt » dont la population allemande est friande.
Certains vignerons se spécialisent dans un vin clairet qu’ils chaptalisent eux-mêmes, d’autres vendent le moût à des négociants allemands qui soit élaborent le vin champagnisé sur place dans des « Champagneraies », soit approvisionnent leur fabrique en Allemagne. Deux avantages importants pour les petits vignerons : ils sont payés au lendemain de la vendange (alors que le vin rouge devait être élevé en cave pendant au moins deux ans) et la demande étant largement supérieure à l’offre, le prix du moût s’envole. Les coteaux du Mont Saint Quentin sont alors entièrement recouverts par le vignoble qui est cultivé jusqu’au cœur des villages (voir clichés). En 1910, 57 ha de vigne sont encore exploités à Lessy, 59 ha à Plappeville et 117 ha à Scy-Chazelles mais les cépages plantés sont à gros rendement(Gros noir de Lorraine, Liverdun, Gamay ) .
Parmi les champagneraies proches de notre village, on note plus particulièrement celles de Georges Weis à Lessy (dans l’actuelle Maison Ste Anne se prépare le « Weingut Saint Georges »), Paille Laurent à Rozérieulles (l’ex concession Pellier-Molinari), Kloss und Forster à Scy (cette maison avait acheté un ancien domaine de l’Hôpital St Nicolas et produisait son vin à côté de l’actuel café « le Petit Tonneau »), Roederer-Busch à Longeville (la plus grosse champagneraie de Moselle) , Plusquin à Chazelles (il possédait aussi le restaurant du Faisan d’or à Moulins), Deinhardt à Moulins, Meunier à Châtel, Kupferberg à Ars, Graeger à Vaux (dans l’actuel Château de Vaux) et d’autres encore à Plappeville, Montigny , Metz….
Le travail de la vigne est très dur: jusqu’en 1920, la vigne pousse sur des échalas que les hommes plantent en quinconce au printemps et retirent dès la fin de la vendange pour amender et labourer le sol à la bêche à la fin de l’hiver ; le vigneron est occupé toute l’année: taille, pliage, accolage, ébourgeonnage, relevage, greffage ou provinage et 4 grattages du sol de mai à septembre pour détruire les mauvaises herbes. En outre, l’arrivée en Europe de nouvelles variétés de ceps notamment américains permet la diffusion jusqu’en Pays Messin de maladies (oïdium vers 1860, mildiou en 1888) et d’animaux parasites : de la pyrale vers 1860 (petit papillon dont les chenilles dévorent les feuilles et fleurs de vigne) puis du phylloxera en 1889 (une sorte de puceron vivant dans la terre, venu d’Amérique avec des plants résistants importés pour combattre l’oïdium) et enfin vers 1910 du cochylis (papillon qui s’attaque aux grappes). Ces fléaux obligent à de coûteux traitements, l’arrachage de tous les pieds infectés et la plantation de nouveaux plants d’origine américaine (!) résistant à ces agresseurs.
Au début du XXème siècle, de mauvaises récoltes dues à la sécheresse ou au gel ainsi que la forte expansion de l’industrie dans notre région détournent peu à peu la main d’œuvre des travaux agricoles. Enfin, la mobilisation des hommes pendant les 4 années de la Grande Guerre interrompt les soins nécessaires à la vigne et entraîne un déclin brutal de celle-ci.
Le retour de la Moselle à la France en 1918 lui donne le coup de grâce : le marché allemand se ferme et les vins français au demeurant bien meilleurs envahissent l’espace mosellan. Les propriétaires comprennent que continuer à vivre de la vigne est sans espoir et se lancent dans la production de fraises, quetsches et mirabelles.
Quelques parcelles de vigne subsistent de ci de là produisant un vin, souvent dénommé « piquette » réservé à la consommation personnelle de l’exploitant. Le manque d’entretien du vignoble pendant 4 ans suite aux expulsions de la Seconde guerre mondiale achève de ruiner définitivement ce dernier.
De nos jours, quelques passionnés croient possible le retour d’un vaste vignoble sur le Mont Saint Quentin. Puissent-t-ils avoir raison ! Le remplacement de la friche actuelle ne pourrait que réjouir le cœur des Lessyliens.
Rédacteur: Jean-Marie FRANCOIS
Sources : – Histoire des vins de Moselle de Maxime Bucciarelli (2006)
– Vignerons, vigne et vin en Pays Messin de Jocelyne Barthel (1990)